12 mars 2015

Internet ou les fragments du rêve


En tant que qu'individus dotés de la faculté de penser nous avons toujours su naviguer de manière instinctive entre les dimensions noétiques, les idées non linéaires et les paliers d'abstraction, les enchaînements nécessaires s'effectuant en mode subliminal dans les profondeurs du champ cognitif. Notre mémoire permet le cas échéant de retracer les cheminements parcourus dans le développement d'une séquence réflexive et d'y apporter des éléments complémentaires, voire de subtiles retouches. Le déroulement, le brassage et la manipulation de plans conceptuels complexes sont à la portée d'un enfant de cinq ans qui saurait jouer aux cartes.
 
Avec l'implémentation d'internet on a cette fois affaire à toute autre chose : une sorte de superficialité multiforme et sans fondements, qui procure néanmoins  l'illusion de ressources virtuelles inépuisables.

On prend rarement ce petit  temps d'arrêt qui nous permettrait de réfléchir à l'origine et à la nature de toutes les informations qui défilent sur nos écrans. Il arrive encore aux internautes les plus aguerris de glisser comme des novices sur cette patinoire en trompe-l'oeil et qui pourtant ne recèle aucune épaisseur, densité ou profondeur que l'on pourrait sonder. A moins qu'on ne veuille y poursuivre éperdument la mythologie urbaine du "dark internet" ou que l'on aille perdre ses repères dans quelque jeu de conquête spatiale en ligne. En vérité, tout ce qui apparaît à nos requêtes ce sont des bribes d'information sans contenu réel et aux origines des plus aléatoires. Pour s'en convaincre il suffit de se rappeler que n'importe qui peut ouvrir instantanément un site web et y encoder tout ce qui lui chante. C'est un peu du pittoresque d'un champ de foire médiéval que l'on retrouve ici : des charlatans et des magiciens s'y côtoient dans la pénombre propice de l'anonymat. De doctes experts frôlent des quasi-analphabètes sans qu'on puisse clairement les distinguer au premier abord. Les motivations aussi se mélangent et créent des interférences occultes. Certains transportent leurs intérêts commerciaux ou leurs ambitions professionnelles bien au-delà du visible, alors que d'autres ne sont animés que par l'étalage public de leur autobiographie romancée.
 
On avait pourtant voulu voir dans ce brouillard virtuel une nouvelle agora pour l'intelligence humaine, alors qu'on ne fait qu'y pressentir un lieu de perdition pour les traditions culturelles et les langages. Les spécialistes se regroupent entre eux, dans des aréopages très confidentiels, quand le grand public se contente des offres minimalistes d'un Google devenu national et soumis aux restrictions légales en vigueur dans les pays hôtes. Wikipédia, comme on  l'avait déjà souligné dans un précédent billet, n'est que la pointe fluctuante d'un iceberg indéfini de volontaires plus ou moins versés dans leur domaine. Il s'avère donc bien qu'à rapide allure certaines données mémorielles aillent se perdre dans les limbes, il y a maintenant des langages qu'on oublie de parler et des écritures qui ne servent plus.

Pour conjurer l'extinction des civilisations, il conviendra donc de ne pas renoncer à ses fondamentaux les plus précieux, chacun les siens.
Cheminer à la rencontre des grands arbres pour leur adresser quelques sourires intérieurs. Lever les yeux pour sonder les nuages.
Consulter encore tous ces vieux livres fatigués, ne pas se lasser d'inscrire quelques phrases brèves autant qu'inspirées dans un gros cahier à la couverture ternie.
Parcourir les rayons des bibliothèques, à la recherche de tous ces ouvrages qui ne seront jamais mis en ligne et qui s'abîmeront dans l'oubli, comme jadis Alexandrie.




Illustration :

Rob GONSALVES (Canada)

 
 


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