26 décembre 2015

Apartés

 
Dès le plus jeune âge, l'exercice le plus exigeant de tout être conscient est de pouvoir manier sa pensée en vue d'en obtenir en permanence les meilleures performances, de la même manière que le corps doit trouver ses postures optimales en toute circonstance.
 
Par conséquent, l'individu devrait rapidement apprendre à reconnaître ce qui lui appartient en propre et ce qu'il doit partager avec l'extérieur. Sa conscience d'abord lui appartient et nul autre que lui même ne devrait par principe y avoir accès. Et c'est bien là que le bât blesse...
 
En effet, la réalité est un matériel mouvant qui, dans certains cas, ne semble même pas avoir d'existence propre ou en tout cas, indépendante de la pensée. Parfois réalité et pensée s'entremêlent si bien, qu'en une danse parfaite les deux ne font plus qu'un. D'autre fois, comme dans un vieux couple qui boude, la pensée et la réalité s'évitent et se tournent le dos. Et ce scénario est appelé à se répéter à de nombreuses reprises tant qu'un certain palier mental n'est pas encore franchi. Il s'agit souvent d'adopter la même audace que lorsqu'on se jette à l'eau pour nager ses premières brasses !

Peu à peu la confiance s'installe et la pensée comprend soudain qu'elle est un facteur indispensable à l'organisation et au déroulement même du réel. Tout le reste n'est plus que l'exploration infinie de cette révélation. Les religions, les philosophies, les enseignements, les psychologies et plus récemment les medias ont tous leur petit avis sur la question et ne se privent pas de vanter leurs propres méthodes dans une surenchère argumentaire.

L'essentiel étant finalement d'être soi-même à l'aise dans sa propre pensée car elle est notre véritable habitat, notre seul véhicule et notre ultime réconfort...
 
 
 

5 décembre 2015

Introversion



En cette époque si foisonnante en innovations mirifiques et où la connectivité nous tient désormais lieu de cordon ombilical, voire de lien secret avec d'invisibles et puissants maîtres, nous aurions tout intérêt à plonger plus souvent dans notre for intérieur.
 
Certes, nous n'en avons plus guère l'habitude ni le temps puisque tous nos instants libres sont régulièrement mobilisés par ces innombrables et fumeuses activités relevant d'un "réseau social", et qui seules semblent aujourd'hui garantes d'une véritable ouverture sur autrui et sur le monde. Ordinateurs et téléphones portables sont les précieux sésames qui nous donnent l'illusion du libre accès au savoir infini de nos nouveaux maîtres à penser, Google et Wikipedia. Avec eux fini l'ennui, les mortels après-midi du dimanche à bailler devant la télévision. Un petit clic distrait et on est parti pour des heures de découvertes fantastiques. On saute d'une thématique à l'autre, tel un ours polaire bondissant de bout de glacier en glaçon. C'est tellement vivifiant, on a enfin le sentiment intense d'exister...

Dans un tel contexte d'extraversion, certains fanatiques de la connexion vont jusqu'à présenter des symptômes aigus de claustrophobie lorsque sonne l'heure de passer sous la douche et de se séparer de leur smartphone. Pour améliorer leur confort mental, il leur sera avantageusement prescrit de se munir d'un walkman imperméable, afin qu'un peu de musique délassante puisse leur permettre de passer sous le jet sans trop angoisser jusqu'au prochain snif connectif.

Et pourtant un peu de recul, un petit devoir d'analyse qu'on s'offrirait à soi-même pourraient ouvrir de bien étranges perspectives sur cette forme de lobotomisation ludique qui nous est comme imposée de l'extérieur. Par exemple, on pourrait accorder quelques instants de réflexion aux changements exogènes et endogènes entraînés par un connectivisme généralisé. Et ceux-ci seraient-ils susceptibles de nous conduire à une forme inédite de collectivisme, voire à une dictature ?

Voilà sans doute quelques pistes de méditation fort passionnantes...



Illustration :

The Chalk Guy



 

17 octobre 2015

Promontoires




Le goût de la philosophie permet à l'esprit d'étendre à l'infini ses domaines d'exploration, avec pour seules limites celles de l'imagination. Car la philosophie, de même que sa concurrente la poésie, sont de grandes consolations dans les aléas existentiels que nous avons tous à traverser.
 
C'est donc en parfait touriste que le métaphysicien, fût-il amateur, peut se promener de par le monde et jeter son regard curieux sur les phénomènes les plus divers. Rien ne lui interdit en outre de les associer ou de les dissocier à sa guise, ni de les extrapoler. Comme instruments de travail il n'a besoin que de sa pensée et de son inventivité, ainsi que d'un peu de persévérance s'il veut arriver à tirer quelques conclusions raisonnables de ses cogitations.

Contrairement à la science qui entend bien se focaliser sur l'objet précis de son étude, la philosophie se doit de diversifier ses approches et de multiplier ses panoramas. La pensée philosophique est en réalité le moyen le plus sûr pour franchir le miroir du temps et de l'espace, qui ne sont que des barrières imaginaires mises en place par la société pour discipliner les insoumissions et les errances. On a voulu faire croire que c'était une discipline élitiste et complexe, réservée à quelques initiés de haut vol. En réalité, tout le monde fait de la philosophie dans sa douche en pensant par exemple à des choses "en général", juste comme ça, rien de particulier.

Dans une époque où le lointain fait mine de se rapprocher dangereusement, où le moteur Google serait soi-disant devenu synonyme d'omniscience et où l'air du temps ferait lui-même partie de quelque programme invasif, il reste néanmoins de vastes zones de savoir inexploré ainsi que d'immenses chantiers intellectuels à entreprendre.

Aux audacieux qui se sentiraient quelque peu à l'étroit dans ce contexte prédictif et que ne rebutent ni la solitude ni l'originalité, les promontoires absolus de l'univers métaphysique s'ouvrent à vous !


 
 
 

22 septembre 2015

Considérations métaphysiques




On nous dit dans les oreillettes que le temps imparti se raréfie et que notre espace vital se rétrécit à vue d'œil...  on nous répète aussi que le lien social global passe par l'abandon des identités particulières ainsi que des traditions culturelles spécifiques. Ceci est évidemment un point de vue qui peut être défendu par un bon avocat pour le compte de quelque multinationale agressive.
 
Partant d'un point de vue philosophique ce genre de boniment ne trouve guère de prises pour s'accrocher. Car il consiste tout juste à dépouiller les esprits crédules de leurs derniers repères pour mieux les égarer et par la suite, les dominer.

En réalité et quand on y regarde de plus près, sur le plan métaphysique tout est calme et serein dans la plus extraordinaire diversité. Tout coule d'un plan à l'autre, d'une dimension à une autre, sans faire de vagues. Il suffit de s'asseoir et de réfléchir objectivement à ce qu'est notre situation dans ce monde, nous qui avons le privilège inouï de pouvoir jongler avec les galaxies, d'avoir accès à plusieurs dimensions, de pouvoir les comparer et les visiter une à une au gré de notre fantaisie. D'un bord à l'autre du monde nous pouvons voyager par la pensée, prédire aussi bien que réactiver d'anciennes thématiques. De même revisiter ou inventorier d'antiques civilisations et si cela ne suffisait pas, on peut toujours en inventer d'autres ici ou ailleurs dans l'univers. Ne dîtes jamais que ça n'existe pas, la science-fiction l'a déjà fait !

Par ailleurs, le monde n'est pas aussi fini qu'on veut bien nous le raconter. De fait il n'a jamais eu de limites ni de frontières, tout phénomène est extensible. Il suffit d'appréhender les mécanismes de la métamorphose quantique pour comprendre ce que la liberté veut dire...




Illustration :

Roger Dean






12 septembre 2015

Marée montante




Il y a des aubes dont il faudra garder le souvenir...

Nous sommes à présent dans l'attente d'une de ces grandes marées humaines dont l'histoire aime à se rappeler comme de points de rupture dans les civilisations, bien que l'on sache désormais que la chute de l'empire romain se déroula sur plusieurs siècles par l'avancée sporadique de peuplades diverses venues d'Asie Mineure. Ce qui étonne pourtant dans la situation actuelle c'est l'apparente impréparation dont font preuve les états européens, en même temps que naissent de légitimes soupçons de manipulation.

Les grandes migrations se font toujours d'est en ouest et le moins que l'on puisse dire dans le cas qui nous occupe, c'est que les forces de l'Otan ont appuyé avec beaucoup de zèle sur tout ce qui pouvait faire bouger les socles du fragile équilibre au Moyen-Orient.
 
Or, les sociétés vieillissantes et nombrilistes ne savent plus réagir avec efficacité face à l'urgence. Leur système de pensée volontiers schizophrène les porte à chérir tout ce qui concourt à leur perte. L'Occident moderne ne sait plus lire les leçons de l'histoire et s'interdit toute action curative dans une sorte de réflexe masochiste.

L'Allemagne et la France, antithèse historique, se retrouvent unies dans une pantomime dont la première serait le meneur et la seconde, le pitre. L'évidente réalité d'un flot incontrôlable de migrants est pieusement coiffée par l'attribution de "quotas obligatoires", dont on sait pourtant qu'ils seront outrepassés dans les faits avant la fin de la journée. Là où les politiques voient leurs intérêts à court terme, les populations autochtones sont partagées entre la bienveillance et la méfiance, mais toujours cantonnées dans le rôle de l'idiot utile n'ayant pas voix au chapitre.

On retiendra encore de l'opération d'enfumage qu'elle fut lancée par une campagne très professionnelle de "story telling" constructiviste, avec la photo d'un enfant noyé sur une plage turque pour faire pleurer dans les chaumières. On a cru comprendre par la suite que son père était lui-même un passeur et que syrien d'origine, il résidait en Turquie depuis trois ans déjà.

Au passage de l'Histoire, on n'est pas toujours installé sur le balcon. Mais c'est bien au parterre que les places seront rares et précieuses...


 

29 août 2015

La saison des cerfs-volants


Le mois d'août est particulièrement propice au lancement de chimères expérimentales de même qu'à l'élaboration studieuse des nouvelles phases de manipulation de grande envergure qui sauront occuper l'espace médiatique à la première opportunité.

Traditionnellement, le public est occupé à entretenir son bronzage et à jouir sans complexe d'un sentiment trompeur de vacances infinies. L'horizon s'arrête juste avant la rentrée fatidique et c'est très bien ainsi...

C'est donc dans un état proche de l'hypnose que l'aoûtien de base voit passer l'annonce d'attentats qui n'ont pas vraiment eu lieu ou de pseudo krachs boursiers qui tenaient en réalité plus de l'ajustement technique avisé que de la débâcle monétaire. Pour le moment personne ne trouve à y redire. Nul ne semble s'aviser du fait que ces annonces sensationnelles ne sont en fin de compte que de la poudre aux yeux, des leurres cherchant à tester le degré de réactivité du citoyen lambda.

Grâce à cette nouvelle circularité non linéaire qu'implique la pratique quasi généralisée du web, on a maintenant la preuve flagrante et en temps réel de ce qu'est une mise à feu dans le domaine de l'information, pour le plus grand plaisir des esprits paranoïaques qui n'en demandaient pas tant. Nul doute qu'à l'avenir les petites bombes virales lâchées sur le net provoqueront plus de vagues qu'une banale opération kamikaze ne saurait le faire.

Par ailleurs et pour être tout à fait honnête, la servitude de la connexion nous offre cependant un certain nombre de compensations. En particulier, cette forme assez ludique de télépathie, puissante faculté que la nature s'obstinait jusqu'ici à refuser à la plupart d'entre nous...





Illustration :

"Waiting for the fish bus"
par Sylphiemetallium


 

15 août 2015

Disgressions métalinguistiques


Il y a les partitions qu'on se rejoue, les phrases, les mots convenus et les expressions à la mode. Tout un réseau linguistique finement tissé qui nous laisse croire que nous nous adonnons à d'intenses activités intellectuelles.


Or, l'intellect ne se situe nullement dans ces prolégomènes mondains mais bien plutôt dans l'intervalle qui les sépare. Le sens des choses est précisément dans l'espace intermédiaire, dans le lien que fait l'esprit entre les choses. Les mots, les notes ou les mimiques ne sont que des indices, le sens est à décrypter en roue libre.
 
Et quand je dis roue libre, je dis qu'il y a des esprits plus ou moins doués pour l'interprétation des signes et des paroles. Il y en a même certains qui en rajoutent tellement, qui en font des tonnes à tel point qu'on peut raisonnablement en déduire que leur véritable vocation est d'être un magicien, à savoir un créateur de réalités. On en trouve d'autres encore qui écrivent des romans, mais qui ne sont pas innocents pour autant.
 
Il y a aussi les paranos, les grands imaginatifs. Ceux qui voient des choses même là où apparemment il n'y en pas. Ce sont eux les plus dangereux car ils sont capables de vous mettre le feu à la baraque, de briser votre ménage pour toujours en cinq minutes ou de vous embarquer pour soi-disant aller visiter la lune.
 
Et puis il y a le fameux Jazzman, ce mystérieux personnage qui hante les meilleurs blogs et peut-être certains autres aussi. Il n'intervient que rarement sur le terrain des débats, mais on peut sentir sa présence comme une aile qui vous frôle. Et quand il daigne s'arrêter pour un commentaire, c'est ... ouf, presque un instant sacré. Le cœur s'arrête de battre, vous tremblez et ne dîtes que des bêtises, vous avez peur de le décevoir...
 
Un conseil, soyez vous-même et n'essayez pas de forcer son estime. S'il y a lieu, il viendra le moment venu s'asseoir encore sous votre tente pour tenter d'éclaircir avec vous certain point resté litigieux dans une quelconque dispute faussement réputée apocryphe.
 

6 août 2015

Alien théorie


Nous avons là de curieuses manifestations graphiques qui apparaissent depuis quelques années dans certains champs peu avant les moissons, au grand dam des paysans qui n'y voient que des embarras. Si selon la légende urbaine les auteurs en sont des extraterrestres, ceux-ci doivent avoir une certaine prédilection pour la Grande-Bretagne. C'est en effet l'Angleterre qui répertorie année après année le plus grand nombre de crop circles.


Souvent fort beaux, ces agroglyphes présentent en outre d'intéressantes dimensions symboliques et des codes subtils qui nous font échafauder mille théories et tenter d'en analyser dans le détail la structure mathématique. Ou tout simplement rêver sur le mystère de ces œuvres d'art éphémères.

Ce qui caractérise un véritable crop circle, c'est d'abord un graphisme géométrique parfois assez complexe et la pliure très particulière infligée à la plante. De fait, les tiges des céréales ne sont pas seulement couchées, elle sont aussi entrelacées ou tressées avec précision. Ce qui, on en conviendra aisément, représente un sacré défi à accomplir par une nuit d'été avec pour seul éclairage la lumière de la lune. En effet, la grande œuvre végétale devra impérativement être terminée en catimini, avant que l'aube ne se pointe et que le fermier n'ait eu le temps d'armer son fusil à plombs.

Des imitations de moindre valeur commencent à apparaître sur tous les continents, mais le véritable amateur distingue généralement la différence au premier coup d'œil. Ceux qui suivent le phénomène depuis ses débuts ont pris pour habitude de se tenir au courant des diverses analyses et interprétations que délivrent les spécialistes de l'art. Dans les cas récents de ces œuvres apparaissant "spontanément" jusqu'au Japon et au Brésil, on sent bien que des étudiants sont en vacances et que certains d'entre eux ont décidé de s'occuper sainement mais sans trop se casser la tête.

Or, pour mériter le titre d'agroglyphe il faut être en mesure d'offrir une vraie valeur sémantique ajoutée afin de permettre aux adeptes de traverser le désert estival dûment munis de leur quota d'énigmes à décrypter !





Illustrations : Crop circle apparu le 21 juillet 2015 à The Belt, Near Fairford, Gloucestershire. Source Crop Circle Connector.


 


28 juillet 2015

Canicules


Bon gré mal gré, mieux vaudra donc s'y faire : dans le cortège des grands bouleversements climatiques qui s'annoncent, les extrêmes n'ont pas fini de se percuter!

Après de longue journées de fournaise passées à l'ombre des volets brûlants, voici venir en plein mois de juillet le bal des vents froids et tempétueux. Supplices pour le corps mais leçons pour l'esprit : nous entrons dans une ère d'incertitude, voilà déjà un constat rassurant.

 
C'est dans ces moments de grande solitude face au destin que l'on se félicite d'avoir su préparer avec soin un petit vade-mecum et d'avoir fourbi quelques armes mentales en prévision de l'adversité. Rien ne vaut une brève parenthèse méditative pour retrouver sinon sa superbe, du moins un certain sens de l'équilibre dans le maelström.

Toujours est-il que ces stratagèmes ne relèvent ni de mantras ni de formules magiques et sont même à la portée du premier venu : en effet, marcher entre les rideaux de pluie sans se faire mouiller est un jeu d'enfant. Déjà plus difficile est l'épreuve dite de "l'ouvrier au marteau-piqueur" juste sous vos fenêtres... là je reconnais que cela requiert un certain niveau d'expertise.

L'objectif étant de cumuler les handicaps comme dans toute situation réelle qui se respecte. Mettons par exemple, une petite canicule de derrière les fagots plus le bruit insupportable de quelque mécanique. Pour corser l'affaire et la rendre encore plus authentique, on pourra ajouter toutes sortes de gâteries perturbantes comme autant de crème chantilly et de chocolat râpé  décorant une glace pistache-melon-arabica.

L'objectif prioritaire étant en définitive de ne pas craquer et de se maintenir à flot, parfaitement lucide et serein. Présent mais légèrement décalé. Habitant non pas dans les fluctuations qui se déroulent autour de nous, mais bien calé en soi-même. Souple et puissant.

Et quand cette canicule, ce vent et tout ce vacarme auront cessé nous serons encore là pour en témoigner. C'est dire...

 
 







 



28 juin 2015

Diversions programmatiques

 

Certains naïfs pensent que les mots sont les extensions naturelles des choses. Et par conséquent qu'un mot ne saurait exister que dans la mesure où il correspond à une réalité tangible, ou du moins généralement reconnue comme étant réelle.
C'est évidemment méconnaître le véritable processus des choses, selon lequel les mots précèdent l'apparition de l'objet. Ce dernier n'étant en définitive qu'une exemplification du mot.
 
 
 
Ainsi le terme relativement fourre-tout de programme. Nous avons là l'exemple typique du leurre sémantique parfait.
 
Quand on parle de programme, chacun a ses propres images qui viennent frapper l'imagination comme les embruns au large de Saint-Malo. Les musiciens verront alors défiler des programmes de concerts virtuoses et les professeurs rêveront de programmes scolaires à la profondeur machiavélique. Quant aux étudiants ils tentent, mais en vain, d'oublier jusqu'à l'existence même de ce mot ...
 
Et puis il y a ces étranges personnages que ce sont les informaticiens, enfermés dans la bulle magique qu'ils ont eux-mêmes contribué à développer. Ceux-là sont persuadés que le terme de programme n'existait pas avant que leur activité ne s'exerce sur la gamme des langages électroniques. Ils ne sont pas très loin de la vérité, tout en restant obstinément coincés dans leur bulle sans pouvoir s'en extraire. Toujours ils répètent le même circuit, qu'il ont si bien intégré qu'ils sont capables de le rejouer à l'aveugle sans comprendre par où et comment sortir de ce labyrinthe. Pris à leur propre piège, il n'arrivent plus à laisser courir librement leur imagination.
 
Sachons les encourager discrètement à se risquer au lâcher prise de sorte qu'ils puissent changer de niveau de jeu et se détendre enfin, comme tout un chacun. Dans une parfaite intégration du verbe et du sens.
 
 
 
 
 
 

15 juin 2015

La nasse des hypertextes

 

Aurons-nous eu raison de continuer à rêver, à théoriser et à inventer ?
De ne jamais nous satisfaire de ces portions congrues ni des versions préalablement expurgées qu'on nous propose à l'intersection des cheminements algorithmiques. Décidément ne pas nous résoudre à foncer tête baissée dans ces pièges néologiques...
 
 
 
 
Si le monde de demain devait se distribuer en damiers grillagés sous la férule d'un web omniprésent et nous assigner une place aussi définie qu'une cellule de moine, nous n'aurions probablement que la pensée privée comme seul espace d'autonomie.
 
A l'évidence, il n'est plus tout à fait du ressort de la science-fiction que d'envisager Internet comme le vecteur possible d'une mainmise globale sur la société. Internet dont les couveuses virtuelles commencent déjà à produire leurs effets : on voit poindre une nouvelle génération de technocrates nés hors-sol, modelée pour répondre à de nouveaux critères culturels et économiques. Des petits soldats décomplexés, habiles à recycler les anciennes données et à les déguiser sous un nouveau manteau. Les missionnaires chargés de répandre "urbi et orbi" cette nouvelle culture apatride et prétendument ludique (jusqu'à quand ?) qui mélange allégrement toutes les spécificités dans une joyeuse world food party. Plus de comptes à rendre à quiconque, plus de droits d'auteur, plus de références stables : on mélange le tout et on brasse bien !
 
Et c'est tous les jours que l'on peut constater, non sans quelque effarement, que les anciennes normes et valeurs sont jetées par-dessus bord, sans que rien de précis ne soit proposé en échange, sinon une bouillie culturelle peu appétissante. Ainsi, les bibliothèques se sont fait la malle, oups! pardon, se sont faites immatérielles, l'improbable Wikipédia prétend déjà remplacer à lui tout seul les encyclopédies, alors que les références bibliographiques deviennent des mythes quasi inatteignables.

Et combien pathétiques ces bouteilles à la mer qui dérivent sur les flancs de la baleine. Ces futures runes, ces milliers de blogs et de sites mis en orbite en attendant les archéologues du futur qui viendront déchiffrer les hiéroglyphes d'une civilisation disparue ...
 

23 mai 2015

Profondeur de champ


A priori tout semblait normal. Rien à signaler à bâbord, ni à tribord. Tout paraissait baigner dans une conformité monotone ...
 
 
Et puis soudainement une feuille s'écarte, un nuage se déplace, un coup de vent modifie le paysage. Un oiseau passe au ras des branches en poussant un cri strident. Le réel vacille sur ses bases et s'invente de nouveaux alibis. Des cascades jaillissent d'on ne sait où pour rejoindre des lacs lointains et invisibles.

Mais là-dessus plane un épais silence radio. La société systémique globalisante, qui pourvoit à tous les besoins physiques et intellectuels de ses citoyens-cobayes a déjà prévu tous les cas de figure, tous les chapitres, sous-chapitres, amendements et addenda. Et pour ceux qui décidément ne peuvent pas se passer d'une certaine variété dans l'offre, il y aura toujours l'omniprésent Google. Qui sait si bien nous dégoûter de persévérer dans nos recherches, puisqu'il est télépathe et omniscient. Il lit déjà dans notre pensée la réponse que nous cherchons et que par conséquent, nous trouverons. (Vous aurez bien noté que l'on assimile ici Google à une entité personnifiée, puisque désormais il se penche par dessus notre épaule pour suivre en direct toutes nos opérations informatiques, guidant la main qui arme la souris).

Ce qu'on nous propose est donc cet univers linéaire, dont la seule complexité serait celle des algorithmes. Un monde plat et inhabitable, en quelque sorte.

Alors nous autres, simples rêveurs, poètes et métaphysiciens, ferons en sorte de passer outre cette ultime trahison technologique et sociétale. Nous déjouerons par tous les moyens que nous jugerons appropriés les diverses manœuvres visant au contrôle de nos activités intellectuelles et de la créativité subjective.

Levant les yeux de nos écrans, nous porterons notre attention sur le for intérieur, histoire de voir où nous en sommes. Et constaterons dès lors avec soulagement que d'autres dimensions sont toujours accessibles par la pensée et que nous savons encore comment les convoquer par une simple opération de l'esprit.



Illustration :

"Hardwood software" de Vladimir Kush.



 


7 mai 2015

En route pour les étoiles !

 



Mentalement, nous avons toujours le choix entre rester ou partir. Faire du surplace ou nous envoler pour voir le paysage sous un autre jour. Et cette faculté que nous avons tous est un pouvoir philosophique d'une grande vertu, qui devrait être enseigné aux enfants dès les petites classes.
 
Nous vivons en effet dans un monde où les producteurs et vendeurs en tout genre s'arrachent le privilège d'attirer notre attention et si possible, de la retenir. Notre pensée est encore le dernier bastion de liberté, alors même que le cerveau est déjà l'objet de diverses manipulations et expérimentations, menées notamment par l'industrie pharmaceutique et les medias. Sur le plan dit culturel, les addictions qui nous sont proposées ne manquent pas et nos comportements compulsifs en sont bien la preuve. Entre les séries télévisées à l'américaine et les forums internet, les petites habitudes deviennent vite des boulets. Les pensées tournent sur elles-mêmes comme dans un siphon et n'importe qui peut comprendre que ce n'est pas très sain.
 
Bien sûr, on ne répétera jamais assez aux sédentaires urbains qu'un bon bol d'air frais est la meilleure des thérapies contre l'hypnose des écrans mais c'est peine perdue : aujourd'hui, il pleut. Et dès demain, il fera trop chaud, gare à l'insolation ! Sans parler des allergies au pollen ... Non, tout cela est bien trop dangereux.
 
C'est pourquoi une pensée qui se respecte doit impérativement apprendre à ne pas faire trop cas du contexte environnant ou plutôt, à savoir s'en détacher ponctuellement et à volonté. Ceci ne signifie nullement qu'il ne faille pas se préoccuper et prendre soin de son environnement mais que pour ce faire, il convient au préalable d'être en mesure de penser de manière autonome.
 
On le sait bien, une pensée n'est efficace que si elle peut s'adapter rapidement à des circonstances insolites ou inhabituelles. L'explorateur n'hésitera donc pas à se contorsionner pour passer la nuit dans la petite hutte des pygmées qu'il étudie, parce qu'ils le valent bien ! Mais si jamais il leur venait l'idée saugrenue de saisir leur petites sarbacanes et d'envoyer quelques volées de fléchettes en direction de l'intrus, il s'agirait alors de déguerpir au plus vite, en gardant néanmoins à l'esprit toute la dignité scientifique de la situation. Et voir déjà défiler en pensée le chapitre qui sera consacré à cet épisode dans les futures biographies. Rester à la hauteur du sujet !
 
Bref, une pensée en bon état de marche c'est une pensée qui sait se faire son propre cinoche, tout en sachant que c'est du cinoche, bien que n'étant pas vraiment du cinoche ...
 
 
 
 
 
 

28 avril 2015

La saison des haies


Au printemps, les haies sont traditionnellement le lieu des rendez-vous romantiques à l'écart de tout regard indiscret. Elles abritent volontiers dans leurs profondeurs des conciliabules d'adolescents fomentant quelque entourloupe ou projetant de réformer le monde de fond en comble. La haie est aussi bien l'indispensable cachette où l'on peut tout perdre et tout retrouver. Et plus encore si affinités ...

 
 

En effet, la haie végétale est un symbole multiple et complexe : servant de refuge ou d'abri à toutes sortes d'animaux, elle protège les plantes fragiles des assauts du vent et des pas des promeneurs. Elle permet à diverses espèces d'y nicher et de prospérer dans une tranquillité relative. Pour l'habitant des haies, tous ces recoins calmes et secrets sont une aubaine inestimable. Et il y en a pour tous les goûts, du très ombreux au plus ensoleillé ...
 
Mais le jardinier qui conçoit sa haie le fait d'abord pour des motifs d'ordre et de cloisonnement : il veut séparer des espaces, forcer des destins à se plier à sa propre vision du monde. Il est ici le metteur en scène d'un microcosme à sa mesure.
 
Ce pouvoir puissamment métaphorique de la haie, certains politiques l'ont bien compris. Notamment au sommet de l'état français où l'on brasse beaucoup de concepts à la fois, ce qui a curieusement le don de susciter quelques vagues d'indignation. Estimant n'avoir rien de mieux à faire dans l'immédiat, le gouvernement a donc entrepris de dessiner quelques haies au crayon levé pour parer au plus pressé :
  • tenter de dissimuler ce qui ne devrait pas tomber entre toutes les mains;
  • savoir avant tout le monde se qui se trame sur les interwebs;
  • identifier d'éventuels terroristes en puissance (alibi central);
  • manipuler discrètement l'opinion;
  • espionner le bon peuple pour l'empêcher de faire/dire/penser des bêtises.

C'est mû par une précipitation assez inhabituelle que le gouvernement Valls II a donc fait voter le 19 mars 2015 son projet de la Loi sur le Renseignement. Dans cette optique de surveillance les "haies" ne serviront plus de planque accueillante, mais seront désormais envisagées comme des pièges espions, des boîtes noires destinées à recueillir et trier les données et métadonnées des connexions des internautes. Les opérateurs internet (fournisseurs d'accès, sites, hébergeurs) seront par conséquent mis en demeure de s'équiper en vue de la collecte d'informations sur les pratiques et itinéraires de leurs hôtes, notamment par le biais de dispositifs algorithmiques.
 
Dans ce contexte, ce ne sont plus des haies, mais des barrières qui nous sont opposées, des balises informatiques placées opportunément sur les routes virtuelles que nous empruntons, dans le but d'espionner encore un peu plus nos habitudes et d'analyser notre profil. 

Il est désormais assez légitime de se demander si le monde qu'on nous prépare pour demain ou après-demain fait encore envie ? On peut en effet concevoir quelques affreux doutes, surtout lorsqu'on a entendu le ministre de l'intérieur français, Bernard Cazeneuve, affirmer devant l'Assemblée nationale que "la vie privée n'est pas une liberté" !
 
 
 

15 avril 2015

Apologie du troll

 
Non, le troll n'est pas qu'un empêcheur de tourner en rond et de ronronner paisiblement entre soi. Il est aussi cette petite pluie de printemps providentielle et rafraichissante, qui permet à la végétation de s'épanouir et aux oiseaux de gazouiller sous l'ondée.

Antonio Casilli, spécialiste de la sociologie des réseaux, nous explique que "le troll est le négatif dialectique. Celui qui met les pieds dans le plat, casse les codes, conteste l'autorité. Son intervention est capitale dans le processus social. Il produit du débat et enrichit in fine la qualité du Web".
 
De fait, c'est en l'appréciant comme le Joker dans un jeu de cartes que l'on est le plus à même de percevoir sa véritable portée philosophique.

Les sociétés traditionnelles avaient bien compris que cette fonction perturbante était indispensable au maintien d'un certain équilibre des valeurs et l'avaient donc insérée de plein droit dans des rituels symboliques parfois complexes. On en voit encore quelques exemples de nos jours, comme dans les pratiques ancestrales du Carnaval.

Le Joker ou le troll viennent remettre en question ce que l'on prenait pour acquis. Ils ouvrent des brèches béantes dans le réel, permettant ainsi de "rafraîchir la pageselon l'expression consacrée dans le domaine informatique et la navigation sur le web. En une interminable fraction de seconde, envolées les habitudes, évanouies les certitudes. En cet instant panique le monde s'affaisse sur lui-même, le château de cartes s'effondre, laissant entrevoir de nouveaux horizons pleins de possibles.

Le Joker apporte toujours plus qu'il ne prend, car c'est précisément au moment où l'on perd pied qu'on apprend à voler en esprit, autrement dit à penser de manière autonome et créative. Et cet impondérable, même les sociétés les plus rigides doivent l'intégrer dans leurs systèmes.

Le jour où il n'y aura plus de troll pour mettre malicieusement la pagaille dans une assemblée trop sérieuse, il n'y aura plus personne pour penser. Les robots, ou les Autres, auront donc gagné la partie.

Mais une partie seulement ...



 

 

26 mars 2015

Evanescences philosophiques


L'époque en est aux faits divers, aux petites saynètes croquées sur le vif et s'enchaînant les unes aux autres comme un sautoir de perles multicolores. L'existence même des médias suppose en effet une livraison ininterrompue de matière première sous forme de nouvelles racoleuses et pittoresques, ce qui inhibe par conséquent la marge laissée à l'appréciation sinon à l'exégèse de tous ces événements disparates.
 


 
Cette pratique contemporaine ne semble indisposer personne, pas même ceux dont le métier est précisément la critique. Au fond, il se pourrait même que cela les arrange : plus vite on passe d'un objet à l'autre, plus vite leur marge d'erreur dans l'analyse phénoménologique sera réduite. Et c'est bien là que réside l'infirmité de cette civilisation. On étouffe la pensée sous une avalanche de données futiles, d'amplitude variable mais en flux continu.
 
Ainsi l'homme de la rue a-t-il seulement sur la langue le nom de quelque philosophe contemporain ? En France, si l'on excepte Michel Onfray qui fait plus œuvre de vulgarisateur que d'auteur original, on ne voit guère que le vénérable Alain Badiou, décidant sur le tard de sortir de son cénacle ésotérique pour s'offrir au grand public et accepter quelques interventions télévisuelles.
 
Mais connaît-on assez l'inventif et novateur Quentin Meillassoux, dont l'excellent opus "Métaphysique et Fiction des mondes hors-science" est un petit bijou, tant au niveau du style qu'à celui de la vision philosophique et du raisonnement ? Ce jeune auteur prometteur s'intéresse aux univers non conventionnels, ce qui est clairement une marque de vitalité par les temps qui courent. Qu'on en juge par cet extrait sur la possibilité de mondes non kantiens :
 
"Pourtant une telle remarque sur l'imaginaire hors-science nous met aussitôt sur la piste d'une faiblesse possible de la solution kantienne. En effet, qu'est-ce qui nous empêche, après tout, d'imaginer des mondes hors-science beaucoup plus stables, et par là-même beaucoup plus intéressants que ceux décrits par Kant ? Pourquoi, au juste, ne peut-on imaginer des mondes insoumis à des lois nécessaires : des mondes, donc, plutôt instables, capables de comportements absurdes ici ou là, mais dans l'ensemble, réguliers, quoique d'une régularité ne résultant en rien de processus causaux nécessaires ? Autrement dit, qu'est-ce qui permet à Kant d'exclure la possibilité qu'existent des monde de fait réguliers dans les grandes lignes, mais d'une régularité approximative, ne procédant d'aucune loi universelle ? Pourquoi un monde sans lois devrait-il être à coup sûr frénétiquement inconstant ? Kant nous dit : si notre monde n'obéissait à aucune loi nécessaire, rien ne subsisterait du monde. Mais, a-t-on envie de lui répondre, un monde qui n'obéit à aucune loi n'a aucune raison d'être chaotique plutôt qu'ordonné : il doit pouvoir être indifféremment l'un ou l'autre puisque précisément on ne peut rien lui imposer.

Si nous tentons à notre tour d'approfondir cette hypothèse des mondes hors-science, nous nous apercevons en effet que la thèse de Kant suivant laquelle la science et la conscience auraient les mêmes conditions de possibilité - à savoir la nécessité des lois - ne résiste pas à l'analyse, car nous pouvons fictionner autant de mondes que nous le désirons qui la contredisent avec évidence."

Voilà qui nous change quelque peu des surfaces sans aspérité et sans saveur de nos médias quotidiens !



Illustration :

Vladimir Kush
"Diary of Discoveries"

  


23 mars 2015

Détournement de printemps


Certes notre espace se remplit du délicieux gazouillis des oiseaux et le magnolia se pare de ses  fleurs d'un rose si délicat, mais quelque chose paraît cependant clocher dans ce retour attendu du printemps. Des signaux suspects se font jour, qui ne peuvent échapper qu'aux plus distraits d'entre nous. Quelqu'un ou quelque chose profite en effet de la réapparition de certaines conjonctions vernales pour tenter d'introduire dans nos vies des balises subliminales.
 
 
Il y eût d'abord cette fameuse éclipse solaire trop bruyamment annoncée, trop bien préparée et qui nous fût finalement invisible, prétendument pour cause de couverture nuageuse dense sur le continent. Puis cette marée d'équinoxe, qu'on nous vantait comme centennale dans les médias, pour ne ressembler au bout du compte qu'à tant d'autres marées, les unes se succédant aux autres dans une perspective des plus familières.
 
Il y a bien quelque chose dans l'air qui sent l'entourloupe, on voudrait nous raconter des histoires qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Les entités technomédiatiques qui s'arrogent maintenant le pouvoir de falsifier le réel semblent bien décidées à distraire notre attention par des effets d'illusionnisme si sophistiqués qu'ils en deviennent presque imperceptibles. Il faut déjà avoir un bon fond de paranoïa, accompagné d'un sens subtil de l'observation pour comprendre que ça ne tourne plus tout à fait rond et que le printemps n'est pas exactement à la place où il devrait être.
 
Quand les affidés du pouvoir se mettent à mélanger la technologie et la nature, les résultats peuvent être surprenants. Et si, pour parachever le tableau on y rajoute une petite couche d'envoûtement médiatique à l'intention d'un public crédule, il suffit de faire un tout petit pas de côté pour se retrouver en pleine science-fiction. Dès lors, on peut très vite commencer à faire des rapprochements, à mettre certains évènements en parallèle et à tenter de contextualiser quelques déclarations officielles. La tête nous tourne. Nous prendrait-on pour des ânes ?

Les pièces du puzzle se remettent alors en place d'elles même, comme un jackpot qui déboule gaiement de la machine à sous. Il suffit maintenant de voir au travers du filtre imposé par le discours médiatique pour comprendre que les choses ne s'agencent pas forcément comme on voudrait nous le faire croire ...



Illustration :

Hiroshe Konno
Poster publicitaire

  
 
 


12 mars 2015

Internet ou les fragments du rêve


En tant que qu'individus dotés de la faculté de penser nous avons toujours su naviguer de manière instinctive entre les dimensions noétiques, les idées non linéaires et les paliers d'abstraction, les enchaînements nécessaires s'effectuant en mode subliminal dans les profondeurs du champ cognitif. Notre mémoire permet le cas échéant de retracer les cheminements parcourus dans le développement d'une séquence réflexive et d'y apporter des éléments complémentaires, voire de subtiles retouches. Le déroulement, le brassage et la manipulation de plans conceptuels complexes sont à la portée d'un enfant de cinq ans qui saurait jouer aux cartes.
 
Avec l'implémentation d'internet on a cette fois affaire à toute autre chose : une sorte de superficialité multiforme et sans fondements, qui procure néanmoins  l'illusion de ressources virtuelles inépuisables.

On prend rarement ce petit  temps d'arrêt qui nous permettrait de réfléchir à l'origine et à la nature de toutes les informations qui défilent sur nos écrans. Il arrive encore aux internautes les plus aguerris de glisser comme des novices sur cette patinoire en trompe-l'oeil et qui pourtant ne recèle aucune épaisseur, densité ou profondeur que l'on pourrait sonder. A moins qu'on ne veuille y poursuivre éperdument la mythologie urbaine du "dark internet" ou que l'on aille perdre ses repères dans quelque jeu de conquête spatiale en ligne. En vérité, tout ce qui apparaît à nos requêtes ce sont des bribes d'information sans contenu réel et aux origines des plus aléatoires. Pour s'en convaincre il suffit de se rappeler que n'importe qui peut ouvrir instantanément un site web et y encoder tout ce qui lui chante. C'est un peu du pittoresque d'un champ de foire médiéval que l'on retrouve ici : des charlatans et des magiciens s'y côtoient dans la pénombre propice de l'anonymat. De doctes experts frôlent des quasi-analphabètes sans qu'on puisse clairement les distinguer au premier abord. Les motivations aussi se mélangent et créent des interférences occultes. Certains transportent leurs intérêts commerciaux ou leurs ambitions professionnelles bien au-delà du visible, alors que d'autres ne sont animés que par l'étalage public de leur autobiographie romancée.
 
On avait pourtant voulu voir dans ce brouillard virtuel une nouvelle agora pour l'intelligence humaine, alors qu'on ne fait qu'y pressentir un lieu de perdition pour les traditions culturelles et les langages. Les spécialistes se regroupent entre eux, dans des aréopages très confidentiels, quand le grand public se contente des offres minimalistes d'un Google devenu national et soumis aux restrictions légales en vigueur dans les pays hôtes. Wikipédia, comme on  l'avait déjà souligné dans un précédent billet, n'est que la pointe fluctuante d'un iceberg indéfini de volontaires plus ou moins versés dans leur domaine. Il s'avère donc bien qu'à rapide allure certaines données mémorielles aillent se perdre dans les limbes, il y a maintenant des langages qu'on oublie de parler et des écritures qui ne servent plus.

Pour conjurer l'extinction des civilisations, il conviendra donc de ne pas renoncer à ses fondamentaux les plus précieux, chacun les siens.
Cheminer à la rencontre des grands arbres pour leur adresser quelques sourires intérieurs. Lever les yeux pour sonder les nuages.
Consulter encore tous ces vieux livres fatigués, ne pas se lasser d'inscrire quelques phrases brèves autant qu'inspirées dans un gros cahier à la couverture ternie.
Parcourir les rayons des bibliothèques, à la recherche de tous ces ouvrages qui ne seront jamais mis en ligne et qui s'abîmeront dans l'oubli, comme jadis Alexandrie.




Illustration :

Rob GONSALVES (Canada)

 
 


27 février 2015

Tout vient à point


On n'y pense qu'assez rarement et le constat ne fait généralement que nous effleurer juste en passant. S'y arrêter trop longtemps serait comme effleurer un mystère ou surprendre un secret que nous n'aurions pas à connaître. Il apparaît pourtant avec évidence qu'il y a toujours quelque forme de perfection dans l'imperfection, une tonalité idéale jusque dans l'essai raté. Il y a toujours une échelle de secours qui se déroule sous nos pas, juste au moment critique. 
 
Lorsqu'on a traversé un tunnel et qu'on en ressort indemne de l'autre côté, on réalise soudain à quel point il était finalement confortable d'être assis dans le noir au milieu de nulle part, avec sa pensée comme seul bagage. Une plongée dans un milieu étrange et une sorte de confiance fondamentale qui nous préserve en toute circonstance.

Chaque situation se fond avec délicatesse dans une autre, juste le temps de faire quelque peu bouger les lignes et de placer quelques repères inédits. L'esprit s'applique méthodiquement à la construction d'une vaste trame mélodique, laissant comme un commentaire discret flotter à l'arrière-plan. Un sous-titrage sur lequel il devrait toujours être possible de revenir ultérieurement en cas de besoin. Une documentation clés en mains pour la mémoire, pour les vieux jours quand la vue baisse et où la seule lecture qui convienne encore est celle de l'autobiographie.

Sachant que l'espace n'est qu'une invention courante de l'esprit, on pourrait facilement se sentir à l'étroit ou ressentir quelque impression d'oppression. Curieusement, il n'en est rien. Dès que le besoin s'en fait sentir, le champ se libère et de nouvelles perspectives s'offrent à notre insatiable curiosité. De nouveaux problèmes physiques et métaphysiques affluent en requérant toute notre attention. Même en rêve, l'esprit tisse ses conjectures sans faire de pause, filant sans cesse des poèmes longs et des métaphores subtiles.

Quand donc prenons-nous le temps de faire une pause pour méditer en termes de gratitude ? Pour reconnaître enfin que tout cela n'est que pure merveille, rêve éveillé, conte de fées et parfaite félicité ...




Illustration :

Vladimir KUSH
"Cueillette de fruits"

 
 


20 février 2015

La construction de forteresses conceptuelles


Il existe dans tout système social une propension exagérée à la production névrotique de ce qu'on pourrait appeler des bastions conceptuels réservés. Le plus souvent cet exercice vise à instituer quelque nouveau dogme ou quelque manière biaisée de voir les choses. Mais plus généralement, le but de la manœuvre consiste très prosaïquement à couvrir des situations bancales qui perdurent sans trouver de solution, ou des scandales imminents qu'il s'agira de dissimuler le plus longtemps possible.
 
 
 
 
En gros, il s'agit de délimiter par simple principe d'autorité, certains seuils conceptuels à ne pas franchir. Ou encore d'instaurer des zones de non-dit, voilées d'une brume assez perverse de crainte et d'ignorance. C'est toujours une entreprise risquée, sachant que l'esprit adore fureter partout et surtout là où on lui dit de ne pas aller !

Prenons pour exemple récent le gouvernement français qui, soucieux de se dissocier au moins momentanément de ses mauvais résultats économiques, a délibérément choisi de mettre en scène à grand frais des thématiques sociales à connotation ethnico-religieuse. C'est avec une certaine théâtralité non dénuée de machiavélisme qu'il s'efforçait ainsi de récupérer à son profit les retombées des attentats terroristes de janvier et d'organiser un défilé très peu spontané sous le désormais célèbre slogan "Je suis Charlie". A cette occasion, certains mots furent lâchés à dessein dans les media, comme des grains disséminés dans un poulailler : islamisme, antisémitisme, jihad, alya, Israël, Syrie. Cette délicate campagne d'intoxication avait évidemment pour but de définir certaines affinités électives sans toutefois paraître stigmatiser trop directement l'une ou l'autre des parties. Plutôt que de faire progresser l'ensemble du problème dans le sens d'une recherche de solutions, il s'agissait en réalité de sanctuariser le débat. Ou plus concrètement encore, de le délégitimer.
 
Toujours est-il que la pensée, dans ses fluctuations, ne saurait se contenter de symboles aussi minimalistes surtout si d'entrée de jeu ils paraissent à l'évidence quelque peu déséquilibrés. L'exigence de l'esprit est d'aller toujours au-delà des limites supposées, bien au-delà même de toute formulation verbale. C'est fort mal en comprendre la nature subtile que de présumer que l'intellect allait s'arrêter net devant un concept préformaté, moulé à la louche et gracieusement distribué par tous les canaux médiatiques  !

Bien au contraire, les contorsions que le gouvernement s'inflige pour tenter de sanctuariser certaines problématiques ne font qu'attiser les soupçons et enfler les polémiques. D'autant que par la bouche même du premier ministre se profile déjà l'ombre de la censure ...







 
 
 

8 février 2015

Combler les manques


 
A contempler ces arbres qui habitent avec tant d'élégance et d'ingéniosité juste au-dessus de nulle part, il peut venir à l'idée que vivre c'est essentiellement combler des failles. Il serait donc question de faire ce qui n'a jamais été fait et d'inventer ce qui n'existe pas. Ou encore de penser l'impensé. Et ça c'est vraiment génial comme mission : activer des creux ontologiques.
 
 
 
 
On se retrouve dès lors avec l'objectif implicite de pallier à certaines carences et d'instruire des absences. Ou encore, de constater des lacunes. Et ce n'est pas l'ouvrage qui manque, si on veut bien regarder autour de soi. Non seulement cet objectif de comblement du vide est particulièrement stimulant, mais en plus il représente de quoi occuper une vie entière. Et même beaucoup plus, puisque bizarrement le non-être semble toujours plus abondant que l'être. Ah! côtoyer de profonds abîmes et s'avancer sans hésiter dans l'étrange inconnu.

Il faut donc beaucoup d'imagination pour vivre en pleine conscience, car à vrai dire rien n'est prescrit ni programmé par avance. Il s'agit d'inventer la mélodie à chaque instant tout en se contentant de l'orchestre d'amateurs qui est mis à notre disposition : les rafales désaccordées du vent sur les toits, le soleil qui n'est jamais là où il faudrait pour la photo et la nuit insaisissable. Ah! la nuit qui est toujours trop longue ou trop courte.

Toutefois de cette prodigieuse faculté créative dont nous bénéficions minute après minute découle nécessairement une forme de responsabilité philosophique qui devrait imprégner nos orientations et nos réflexions. La nature de l'enjeu est d'une grande noblesse : quand on a le pouvoir de meubler le vide, ne serait-ce que l'espace d'un instant, on peut aussi faire en sorte que le prochain geste soit juste et que la pensée soit belle, harmonieuse et bienfaisante ...





 
 


31 janvier 2015

L'effet neige ...


 
Une simple averse de neige et le monde entier devient étrange, si calme et si précieux. Des flocons tombent comme de grosses fleurs, en planant. De temps en temps on entend le petit cri interrogateur d'un oiseau, un seul battement d'ailes. Le silence retombe, c'est un poème pour l'âme et un repos pour la nature ...
 
Froid saisissant et perte momentanée des repères communs : ce délicat sortilège d'apparence vaguement extraterrestre ne recèle pourtant aucune dangerosité. En réalité, la neige est une puissante leçon métaphysique qui nous enseigne à distinguer la forme et le fond, à discerner peut-être l'essentiel de l'inessentiel.
 
Toutefois, ces images littéraires éculées qui nous viennent spontanément à l'esprit, comme "le grand manteau blanc", contiennent des vérités certes profondes, mais ne pouvant être vérifiées de nos jours que dans les campagnes reculées.

En ville, la neige disparaît très vite sous l'effet conjugué de la température environnante et d'une circulation automobile intensive. Dans un cadre urbain l'épisode neigeux d'amplitude moyenne suscite de généreux épandages de gros sel, ce qui ne manquera pas d'entraîner inexorablement l'apparition d'une boue légèrement toxique qui ira s'infiltrer dans les égouts. Poème des évanescences ...
 
Toujours est-il que fors la guerre, seul une puissante tempête de neige est encore en mesure de stopper net la course folle d'une civilisation déjà sur le déclin et qui n'arrête pas un seul instant de courir à sa perte. Le temps peut-être de se retrouver seul, face à soi-même et à ses propres choix philosophiques.

Alors confortablement emmitouflé et muni d'une haute tasse de café fumant ainsi que de quelques biscuits, on peut se mettre à examiner ce qui est à nos yeux important et ce qui ne l'est pas. Rien ne presse. La neige continue à tomber ...





Illustration

Estampe de Utagawa HIROSHIGE